Le photographe Daniel Berehulak et les journalistes du New York Times ont été les premiers à découvrir puis à documenter les massacres des civiles de Boutcha. Pour attester de ce qui s’est fait durant les deux semaines d’occupation de cette petite ville proche de Kiev par les troupes russes. A Marioupol, Evgeniy Maloletka (Associated Press) ont vécu sous les bombes russes jusqu’à l’évacuation finale.
S’il peut encore exister un doute dans l’esprit de Ségolène Royal sur la réalité des atrocités de guerre perpétrées en Ukraine par les soldats russes, il lui faut alors se déplacer en urgence jusqu’à Perpignan. Les images réelles des horreurs réelles y sont affichées dans les galeries de Visa pour l’Image, le festival du photoreportage. Pour voir et comprendre. Il lui faut se rendre dans la magnifique chapelle du Tiers-Ordre, là où sont accrochées les photos du photographe australien d’origine ukrainienne Daniel Berehulak, en mission pour le New York Times à partir du 29 mars à Irpin puis à Boutcha. La candidate malheureuse aux élections présidentielles de 2007 disposera alors des noms et d’adresses de victimes bien réelles de la barbarie, dont elle disait que de tels détails n’existaient pas, pour appuyer sa très personnelle prise de position sur l’Ukraine. Au besoin, elle peut valablement rencontrer Daniel Berehulak lui-même, qui a longuement commenté sa mission conduite à partir du 29 mars. « Nous sommes allés à la rencontre avec l’armée ukrainienne. Nous avons passé une première journée ensemble pour faire connaissance et puis, le lendemain à sept heures du matin, nous sommes partis avec un groupe de seize soldats, destination Irpin, puis Boutcha » raconte le photographe dont les parents ont fui l’Ukraine après la seconde guerre mondiale alors que ses grands-parents ont survécu à une déportation en Sibérie et à la famine artificielle organisée en Ukraine. « Lorsque nous sommes arrivés à Boutcha, les soldats russes venaient de quitter le village qu’ils avaient occupé pendant quinze jours. Les habitants n’avaient plus de vivres, plus d’électricité, ni de chauffage. Les soldats ukrainiens ont procédé à une distribution de pain. Puis un homme m’a tiré par l’épaule en me faisant signe de le suivre. Il nous a conduits dans une cave où nous avons découvert les corps d’un homme et d’une femme, sous une couverture, tués par balles. Nous pensions qu’il s’agissait d’un acte isolé » témoigne le reporter prix Pulitzer 2017.
Les journalistes découvrent l’horreur
Puis au fur et à mesure de leur progression, les journalistes découvrent l’horreur, que l’on peut cartographier rue par rue. Des cadavres par dizaines. Devant l’église ? Six corps carbonisés. Des charniers. « Sur la trappe conduisant à une cave, nous avons découvert un sac de béton. Dans la cave, le corps d’une femme nue sous un manteau de fourrure et des matelas posés par terre. La femme a été violée. Puis exécutée au moment du départ des soldats » commente encore Daniel Berehulak. Dans le jardin de Tatiana, 72 ans ? Voici les corps de Serhiy, de Roman, restés pour s’occuper des deux chiens et celui d’un troisième homme inconnu. Ou bien la vie ou plutôt la survie de Petro s’occupant de Svitlana, diminuée depuis son AVC. C’est ce que les visiteurs de Visa découvrent. Et ressortent de la chapelle bouleversés, parfois en larmes. Dans cette grande salle d’exposition, c’est un silence pesant. Les images proposées par Luc Barioulet (la guerre au quotidien), par Mstyslav Chernov et d’Evgeniy Maloletka,(Caserne Galliéni) uniques témoins de la vie jusqu’à la mort de Marioupol sont tout aussi criantes de la réalité ukrainienne sous la botte russe. Elles viennent conforter l’évidence irréfutable des atrocités commises en Ukraine par des éléments des bataillons russes. Les occupants s’en sont pris directement et sans état d’âme aux populations civiles, affaiblies, affamées désarmées. Victimes innocentes dont le seul tort aura été de rester sur place. Parce que la plupart de ces personnes, les plus pauvres, ne savaient pas où aller. Et c’est ainsi que Visa, à sa manière écrit l’histoire contemporaine.
Christian Goutorbe
Visa pour l’image à Perpignan. Jusqu’au 11 septembre 2022. www.visapourlimage.com