Tourisme durable : Les experts secouent le cocotier

2023, an zéro du chahgement climatique. A Perpignan, les autorités religieuses et agricoles organisent une procession pour que Saint Gaudérique amène de la pluie pour sauver les cultures et la saison touristique. Le département pourrait manquer d'eau. La saison touristique a été sauvée mais pas les arbres fruitiers. (c) Christian Goutorbe
19 mars 2023, an zéro du changement climatique en France ? A Perpignan, les autorités religieuses et agricoles organisent une procession pour que Saint Gaudérique amène un déluge pour sauver les cultures et la saison touristique. Le département pourrait manquer d'eau. La saison touristique a été sauvée mais pas les arbres fruitiers. (c) Christian Goutorbe

Les experts, accoutrés en lanceurs d’alerte multiplient les mises en garde sur le réchauffement climatique, déjà arrivé en France. En face d’eux, en première ligne de la transition, les acteurs du tourisme sont aux aguets,  à Paris ou à La Grande Motte dans les grands rassemblements professionnels pour trouver une diagonale stratégique crédible et surtout pertinente entre tourisme durable (tourisme positif, nuance Atout France) et sauvegarde de la fréquentation et des  chiffres d’affaires  de tous les opérateurs . A condition d’avoir de l’eau et une température supportable.

François Gémenne, co-auteur du sixième rapport du  GIEC  (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) n’a pas son pareil pour clouer le bec aux climatosceptiques qui refusent catégoriquement de regarder bien en face la réalité du réchauffement climatique.

les experts secouent le cocotier. ici François Gémenne, du GIEC ouvre le salon de Paris IFTM-Top Resa
François Gémenne co-auteur du rapport du GIEC ne mâche pas ses mots. Et notamment devant les grands acteurs du tourisme lors du salon IFTM-TopResa de Paris. (C) Christian Goutorbe

Le 3 octobre dernier,  en ouverture  de l’IFTM-TopResa, le salon de Paris du Tourisme, il n’a pas ménagé ses alertes face à un public qui connait bien son discours, sans ambiguïté, puisque le politologue-géographe belge est un habitué des assemblées générales des  grandes fédérations professionnelles.  «Ne traitez surtout pas la situation actuelle comme si c’était une simple  crise passagère qu’il convient de surmonter puis de refaire comme avant. Non, l’exceptionnel devient la norme. Et les actuels records de température sont faits pour être battus, régulièrement, constamment. Nous allons devoir vivre autrement, voyager autrement. Et la filière du tourisme va être très largement impactée » explique-t-il. « Peut-être devrons-nous changer de saison pour voyager dans certains pays, par exemple, visiter l’Occitanie en hiver, fuyant les canicules de l’été. Finalement, jusque dans les années 50, le tourisme de la Côte d’Azur, c’était principalement une fréquentation d’hiver » s’exclame-t-il,  fixant le point ultime de  la visibilité de la filière à la prochaine génération. Pas beaucoup plus loin.

La procrastination environnementale

Le tourisme  est devenu une aspiration profonde de nombreuses populations mondiales. (c) Christian Goutorbe
Le tourisme est devenu une aspiration profonde de nombreuses populations mondiales. (c) Christian Goutorbe

François Gémenne ne s’embarrasse plus de pronostics d’augmentation de température qui  font polémique à l’infini, qui renvoient à un horizon d’action lointain et qui encouragent la procrastination environnementale  pour produire moins de CO2. Non, il annonce clairement le challenge. Il faut agir et vite. « Même les petites initiatives comptent » poursuit-il en exhortant les professionnels  de la  filière à inventer, à révolutionner les pratiques. Pour se sauver du pire : les fortes chaleurs et le manque d’eau. « Lorsque le maire de La Rochelle, a lancé  ses bicyclettes jaunes en libre accès en 1976, tout le monde s’est moqué de lui. Tout le monde disait que ça ne marcherait jamais. Et puis, Rennes, puis Strasbourg, Lyon ont pris la roue. Et aujourd’hui il y a des vélos de toutes les couleurs  à disposition dans les  rues de toutes les  grandes villes du monde, de Stockolm à Sydney. Tout le monde s’est inspiré de la réussite vertueuse de la Rochelle » poursuit  François Gémenne après trente bonnes minutes à enfoncer des clous sur la croix qui domine les grands spots du tourisme mondialisé. Puis, le chercheur du GIEC a  organisé une sorte de confessionnal en public :deux minutes et pas plus pour détailler comment  chacune des fédérations de professionnels du tourisme passe à l’action. Jean Paul Mas président du syndicat national des agences de Voyage (SNAV) a mis en chantier un plan de formation à l’écoresponsabilité de tous les interlocuteurs. Les organisateurs de voyages d’affaires brandissent un livre blanc déjà rédigé. L’heure est aux premiers engagements.

Rémy Knafou : « En montagne nous roulons vers l’abîme ». 

Dix jours  plus tard, c’est Rémy Knafou, le professeur émérite de la Sorbonne et chercheur du CNRS  qui  est à la tâche  dans le cadre de convergences Touristiques organisées à La Grande Motte par le CRTL (Comité Régional du Tourisme et des loisirs) d’Occitanie.  Celui qui veut réinventer (vraiment) le tourisme (c’est le titre de son dernier opus) s’engage pour dix minutes à crayons rompus avec les journalistes. Une heure plus tard, il est toujours là sur la terrasse de l’ Estrambord, passionné, passionnant, pertinent. Il est menacé par les premières  gouttes  de l’alerte cévenole qui clôture, ce soir-là, l’exceptionnel été indien de Méditerranée (24°   de température, 21° en eau de mer, soit le bonheur pour les  fans  de seafitness et de longe-côte). Cette  fin de saison au sud est une belle illustration des propos du géographe le plus écouté lorsqu’il juxtapose les grands nombres, ceux des touristes et le réchauffement climatique, ou la terrible équation. 

Anatomie d’une addiction touristique

la recherche des beautés du monde, pousse les touristes sur les routes et dans les avions. Ici la côte rocheuse catalane à l’heure dorée de la fin du jour. (C) Christian Goutorbe.

« le besoin touristique de l’ailleurs, lente conquête vieille de plus de deux siècles est puissamment ancré dans les mentalités, collectives et individuelles, d’une partie significative de la population mondiale. Les  flux touristiques ont atteint un niveau inégalé dans l’histoire des déplacements humains. Ce mouvement est de plus nourri par les flux issus du monde émergent tout particulièrement, la Chine et l’Inde, les pays les plus peuplés. Dans les pays riches, la population touristique pourrait encore augmenter » s’alarme-t-il dans son ouvrage, ce qui signifie une intensification de tous les  transports notamment aériens à l’heure où il conviendrait, en urgence, de  limiter ses heures de  vol. On comprend bien qu’on est loin du bonheur dans la sobriété.  « La situation est  bien pire encore dans les stations de  sports d’hiver où l’on court à l’abîme dans ces vaisseaux des neiges appelés à devenir à terme des  épaves de haute altitude. Ces  immeubles aujourd’hui considérés comme des passoirs thermiques  sortent du marché de la location. Ils  ont été construits dans les années 80  pour n’être occupés que quelques semaines par an. C’est un non-sens. Il faut intégrer à la facture de la construction, les  coûts sociaux et environnementaux. Et surtout arrêter de construire. Parce qu’on continue à bâtir, dans certaines stations comme Val d’Isère » ajoute-t-il. En 78, Rémy Knafou avait soutenu sa thèse justement sur ces stations intégrées  de montagne. Et le constat de son étude mettait déjà en perspective les cauchemars d’aujourd’hui.  

Roussillon : sous les pieds, l’assurance-vie  du tourisme

Espira de l' Agly (Pyrénées-Orientales).   Au pied  du village le maire Philippe Fourcade  constate la disparition du fleuve Agly. Nous sommes à la mi-juillet 2023. (C) Christian Goutorbe
Espira de l’ Agly (Pyrénées-Orientales). Au pied du village le maire Philippe Fourcade constate la disparition du fleuve Agly. Nous sommes à la mi-juillet 2023. (C) Christian Goutorbe

Plus au sud de la station dessinée par l’architecte Jean Balladur, le territoire des catalans est sacrément soulagé après un voyage en enfer au printemps dernier. Le département  des Pyrénées-Orientales boucle sa saison avec juste une petite érosion de 4% des nuitées (avant-saison, juillet août et réservations septembre) selon le cabinet d’attractivité G2A. Mieux encore, la frénésie des réservations pour les  vacances de la Toussaint, pourrait même rattraper les nuitées perdues. Au printemps dernier, sec comme dans le désert du sud algérien,  le territoire tout entier s’était collectivement  enfoncé dans un film d’épouvante. On allait manquer d’eau, y compris pour  se détendre dans les piscines et même   pour se brosser les dents dans les campings de l’été. Le préfet Rodrigue Furcy avait agité le spectre de la grande pénurie et de la  grande peur du robinet qui ne coule plus.  Les autorités agricoles et religieuses  avaient même organisé  à Perpignan, une grande procession, le 19 mars,  rassemblant croyants, non pratiquants, sourciers dépités,  arboriculteurs et maraichers privés d’irrigation. Mais la foi, notamment en Saint Gaudérique le patron des laboureurs, n’a pas ouvert pour autant les grandes portes du ciel. L’absence de pluies a provoqué une crise agricole sans précédent  chez les producteurs de pêches, de nectarines, d’abricots, sevrés d’eau au moment clef  du cycle végétatif. Et les viticulteurs, eux,  enregistrent la plus faible récolte de l’histoire. Dans le même temps, la filière touristique s’est sauvée d’un désastre économique en conservant notamment l’accès à l’eau pour les piscines et les centres aquatiques.  « Vu le bashing médiatique sur le thème d’un possible manque d’eau, je crois qu’on s’en sort pas mal. On fait sans doute aussi bien que les autres territoires touristiques  de Méditerranée. Et on constate le développement d’un tourisme local, régional, de grande proximité » détaille Aude Vivès la présidente de l’agence départementale du tourisme.  L’alerte à la pénurie d’eau du printemps a marqué les esprits au point d’obtenir de la population locale  et des professionnels une baisse de 30 %  de la consommation en avant-saison. Tous les opérateurs  se sont engagés à trouver des solutions pour consommer moins et mieux la ressource en eau disponible sans puiser dans la  cagnotte, les  nappes profondes du Pliocène considérées comme l’assurance-vie du tourisme catalan. 

A lire : Réinventer (vraiment) le tourisme. En finir avec les hypocrisies du tourisme durable. Par Rémy Knafou aux éditions du Faubourg. 16€.