Pierre Soulages en sa cathédrale de Montpellier

Paris, Montparnasse, Beaubourg, Rodez, Saint Pétersbourg, New York, Montpellier, c’est la trajectoire universelle d’un artiste majuscule. Sa disparition engendre une émotion exceptionnelle d’intensité et de sincérité. 

Plus de 4000 personnes en deux jours pour voir ou revoir les oeuvres de Pierre Soulages au musée Fabre de Montpellier. (c)topsud news

Curieux, émus parfois même touchants, surpris, admiratifs toujours, plusieurs milliers de personnes, plus de quatre milles à Montpellier, se sont transportés. Ils ont pris la route du musée ce weekend à Montpellier et Rodez pour rendre un vibrant hommage à Pierre Soulages décédé le 26 octobre dernier au centre hospitalier de Nîmes. Et aussi sans doute pour comprendre   mieux l’œuvre.  Au musée Fabre de Montpellier, le défilé est silencieux parfois troublé par des voix d’enfants et même transcendé, par l’Angelus de midi à la basilique Notre Dame des Tables toute proche. Dans la salle numéro 47, l’acrylique du polyptique vertical, l’un des derniers ensembles d’œuvres du maître, est éclairée par la lumière naturelle façon Soulages. Elle est filtrée par un mur entier de verre dépoli, retravaillé, conçu, réalisé et même inventé sous la conduite du peintre lui-même. Il a ici agi dans le même esprit de recherche fondamentale que pour les fameux vitraux de l’abbaye Sainte-Foy de Conques en Aveyron pour y réinventer la lumière céleste. « A partir du moment où le cabinet d’architecte a été désigné, Pierre Soulages s’est attelé à la tâche. Il a largement contribué à la conception de cette partie du musée totalement rénové entre 2003 et 2007. Et il a toujours été soucieux de la bonne réalisation des travaux et de l’accrochage. Nous présentons aujourd’hui trente-quatre   œuvres de Pierre Soulages, dont douze tableaux qui ont fait l’objet d’une donation de la part de Pierre et de Colette Soulages » explique Michel Hilaire le conservateur du musée Fabre en relation étroite avec le peintre depuis au moins trois décennies.

Musée Fabre : le berceau du jeune artiste…

Pierre Soulages au musée Fabre. Photo Cécile Marson/Montpellier 3M.
Pierre Soulages au musée Fabre. Photo Cécile Marson/Montpellier 3M.

Pierre Soulages s’est partagé depuis 1959 entre ses ateliers du cinquième arrondissement de Paris et sa maison-atelier de Sète au piémont du Mont Saint Clair, dominant le cimetière marin, baignée de la lumière de Méditerranée, cette mer toujours recommencée de Paul Valéry. « Le musée Fabre de Montpellier a toujours eu la préférence de Pierre Soulages. C’est le musée cher à son cœur.  Parce que c’est ici, dans la version ancienne du musée qu’il a découvert l’art, les collections et Gustave Courbet. En 1941 Pierre Soulages était étudiant à l’école des Beaux-Arts de Montpellier qui se trouvait dans les mêmes bâtiments que le musée Fabre. Pierre y passait beaucoup de temps. C’est ici qu’a débuté sa culture artistique. Et, au fil des années il est devenu un visiteur très régulier du musée, surtout lorsque certains de ses amis s’y trouvaient exposés » poursuit Michel Hilaire.

Et d’un couple pour l’éternité

La légende, mainte fois rapportée par Pierre Soulages lui-même, veut que ce soit, ici dans ce musée que Pierre Soulages a découvert l’amour avec la jeune étudiante sétoise Colette Llaurens, devenue sa femme de toujours, épousée quelques temps plus tard, à Sète. Cette même légende dit que c’est devant le tableau « La Rencontre » de Gustave Courbet que ceus deux-là auraient commencé, à s’aimer.  Pour toujours, jusqu’au dernier souffle; Et même au-delà. « Montpellier s’est inscrite durablement dans son parcours de vie. Car c’est dans notre ville qu’il s’est construit en tant qu’homme et artiste. À travers son œuvre étendue sur un siècle de vie, nous avons été invités à repenser notre rapport à la lumière. Durant plusieurs décennies, il s’est en effet intéressé à la réflexion de la lumière sur les états de surface de la couleur noire, plus précisément à la variation de ses états de surface. Il y a un noir Soulages et, invention du peintre, il est devenu Outrenoir. Cet Outrenoir a aujourd’hui valeur d’éternité dans l’histoire contemporaine de la peinture » explique Michaël Delafosse, maire de président de Montpellier Méditerranée Métropole.  C’est encore à Montpellier que Pierre Soulages a réalisé une grande exposition au pavillon du musée Fabre en 1999. L’artiste avait déjà une stature internationale, cheminement artistique sans hiver, depuis son apparition au salon des indépendants de 1947. Remarqué et remarquable. Et déjà dans le noir avant de théoriser l’Outrenoir, signature, unique, universelle, mélange étonnant entre le brou de noix, la peinture à l’huile puis l’acrylique.

Outrenoir, marque de fabrique pour jouer avec la lumière

Dompteur de la lumière, Pierre Soulages a conçu ce mur de verre au musée Fabre pour que ses toiles soient éclairées par la lumière du jour mais  filtrée. Ce mur a nécessité des  semaines de recherches de la part du grand peintre
Dompteur de la lumière, Pierre Soulages a conçu ce mur de verre au musée Fabre pour que ses toiles soient éclairées par la lumière du jour mais filtrée. Ce mur a nécessité des semaines de recherches de la part du grand peintre (c) Topsud News

  « L’Outrenoir n’est pas un phénomène optique. C’est un état mental que vous atteignez quand vous regardez dans ses profondeurs. C’est au-delà du noir »   expliquait-il. Pierre Soulages, 102 ans, est l’homme de toutes les fidélités : à ses racines personnelles et familiales en acceptant d’installer la majeure partie de ses collections à Rodez là où il a grandi auprès de ses parents artisans.  Fidélité à l’abbaye romane Sainte-Foy de Conques, là même, où jeune homme, il avait eu la révélation que sa  vie serait art. Fidélité à Rodez, la ville de son enfance en créant les conditions du musée.  Fidélité au musée Fabre de Montpellier et à toutes celles et ceux qui l’ont accompagné pendant toute ce cheminement artistique. Les amis artistes de toujours qui apparaissent autour d’une de ses acryliques sur toile de 2004 à l’entrée de l’exposition permanente : Pierre Bloch, Hans Harting, Claude Viallat, Zao Wou-Ki ou Jean Michel Meurice. Fidélité au noir dont il a, pour nous, changé la perception. Noir pour accueillir la lumière. Fidélité à un seul amour, Colette, la jeune fille de la Rencontre de Courbet. Fidélité aussi à celles etceux avec qui il entretenait une puissante relation intellectuelle autant qu’artistique : Joseph Delteil, Georges Frêche et Michel Hilaire à Montpellier, Emmanuel et Brigitte Macron, Bernard Cayzac, le président des amis du musée de Rodez, Pierre Encrevé et tant d’autres…

Pierre Soulages, homme de toutes les fidélités

Musée Fabre. (c) Montpellier/3M

A 102 ans passés, Pierre Soulages entretenait encore et toujours des projets de toile et se souciait du devenir de chacune de ses œuvres. « Il avait une mémoire stupéfiante » raconte une des conseillères de Carole Delga, présidente de la Région Occitanie en visite chez lui à Sète début octobre. « Il venait de recevoir la bonne nouvelle du dépôt pour le musée de Rodez d’une de ses œuvres datant de 1951. Il s’en souvenait avec une précision stupéfiante et surtout, il envisageait déjà, schéma à l’appui, quelle serait sa juste place pour l’accrocher au musée » poursuit la conseillère de la présidente.  Ainsi était Pierre Soulages et sa légende lui survivra longtemps, longtemps. Celle d’un grand homme : par la taille, la prestance, l’érudition, l’intelligence, le talent et l’universalité. Ainsi, Pierre Soulages, a-t-il droit à un hommage national dans la Cour Carrée du Louvre. Avant d’être inhumé dans le cimetière de Montparnasse à Paris. Pour marquer son temps à l’Outrenoir.