Pas de déjeuner en paix pour Visa 2020

la disparition du peuple Mohana, l'une des révélations de Visa pour l'image. (C) Sarah Caron
la disparition du peuple Mohana, l'une des révélations de Visa pour l'image. (C) Sarah Caron

À Perpignan le festival international du photo-reportage se tient finalement pendant, peut-être, une éclaircie dans la tourmente pandémique. Pour regarder le désastre humain et mondial au fond des yeux des photographes. Plus les autres turpitudes dans le monde.

Visa pour l’image 2020, c’est un peu comme si Philippe Djian parolier de Stéphane Eicher parcourait les allées du Couvent des Minimes. « J’abandonne sur une chaise le journal du matin, Les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent… » écrit-il pour lancer « déjeuner en paix ». Comme une belle promesse de détente au Café de La Poste au pied du Castillet de Perpignan après avoir arpenté les couloirs de la mort et de la survie du monde. « On vient ici depuis plusieurs années pour prendre des coups de poing, pour voir le monde tel qu’il est, tel qu’il avance et non pas comme on voudrait qu’il soit » exprime Michel, visiteur retraité de Vincennes qui ressort rincé de l’exposition phare cette 32e édition, celle de Peter Turnley. Il était naufragé involontaire à New York pendant le confinement au pire moment de la pandémie dans la ville. « De passage, entre deux reportages, je me suis retrouvé confiné à New York. Alors j’ai saisi cette opportunité de photographier ce que je considère aujourd’hui comme ma première guerre mondiale » explique le photographe franco-américain, abonné des terrains minés. Alors, au fil des jours de ce drame collectif, Peter Turnley promène son Leica au fond des yeux des acteurs de la tragédie.

Les yeux d’Erika

Erika, infirmière volontaire pour travailler en zone Covid-19 Photographié le soir de la fête des mères à New-York (c) Peter Turnley/Visa pour l’image

« J’ai voulu montrer le courage, la dignité l’humanité des habitants de New York et surtout des travailleurs essentiels. Ces travailleurs qui ne demandent rien en contrepartie, qui font ce qu’ils doivent faire par sens du devoir et par compassion. Ils nous montrent la voie et nous donne de l’espoir » poursuit-il après avoir passé une journée entière à Perpignan, entre ses images en noir et blanc et les visiteurs masqués, silencieux, qui défilent pratiquement sans bruit devant cette exposition. Elle raconte si bien « ce conflit sanitaire face à un ennemi invisible, qui concerne toutes les populations ». Lui se dit sincèrement ému que ses photos aient ainsi pu toucher le public généralement très averti de Visa. Tous marquent un temps d’arrêt un peu plus long devant le visage d’Erika. Le photographe a figé son regard, au soir de la fête des mères à Manhattan. Erika, est brésilienne d’origine. Infirmière itinérante, sans sécurité de d’emploi, sinon à la sueur de son front, elle est arrivée de Caroline du Sud pour œuvrer dans l’un des hôpitaux de Manhattan. « Je suis venue parce que j’ai pensé qu’on avait vraiment besoin de moi ici » explique-t-elle au photographe. Il en a fait une icône de la lutte contre la Coronavirus. Elle fera la couverture du prochain livre de Peter Turnley promis pour cet automne. Tony ? C’est aussi encore un autre des visages de la guerre sanitaire, un assistant médical dévoué, sacrificiel et dont on suit le dernier voyage et l’hommage bouleversant des habitants de son quartier.

Est-ce que tout va si mal ?

« Est-ce que tout va si mal. Est-ce que rien ne va bien ? » questionne encore en sourdine la voix de Stéphane Eicher alors que trois autres belles productions figent pour la mémoire des hommes, sur le papier cette pandémie. « Compte-tenu de l’impact universel de la pandémie, on ne pouvait pas passer à côté de cet événement qui bouleverse tellement de choses de nos vies. D’autant que nous avions d’excellents reportages. Et c’est aussi pour cela qu’il était important que cette édition 2020 de Visa se tienne, même si les reporters sont bien moins nombreux, privés qu’ils sont de ressources et de vols pour nous rejoindre » explique Jean François Leroy, directeur-fondateur du festival.

Le peuple-oiseau

Et ailleurs, au large des hôpitaux congestionnés, des morgues saturées que se passe-t-il donc pour redonner du moral et de l’appétit à Stéphane Eicher ?

Dans la cour intérieure de l’église on suit une autre agonie, pratiquement silencieuse, du peuple des Mohanas, habitants multiséculaires (depuis 5 000 ans) de la vallée de l’Indus. Sarah Caron, pendant des mois, a partagé le quotidien du peuple oiseau sur leurs maisons flottantes sur des bateaux à fond plat qui naviguent sur les eaux aujourd’hui empoisonnées du lac Manchar. Pour que cette vie de nomades lacustres perdure, ils ne peuvent compter que sur la complicité avec les oiseaux pour la pêche. Mais le poisson est en voie de disparition dans ces eaux usées industrielles de la vie moderne et les oiseaux migrateurs filent sans s’arrêter désormais. Comme si, sur notre, terre même dans les vallées les plus reculées de l’humanité on ne pouvait plus trouver refuge. (cour intérieur de l’église des Dominicains).

L’eau précieuse de Cuba

Manifiesto del agua, c’est l’exposition consacrée à la pénurie d’eau à Cuba par Sanne Derks. (C) Sanne Derks

À Cuba pour vivre à peu près correctement, y compris à la cubaine, il faut avoir accès à l’eau, potable, possiblement tous les jours. Or, sauf peut-être pour les grands hôtels avec piscine bleue, ce n’est pas si simple. C’est cette vie dans les coulisses du spot touristique que raconte Sanne Derks dans Manifiesto del agua (Église des Dominicains). Comment les habitants de La Havane se débrouillent alors que le gouvernement a inscrit dans ses priorités l’adduction à l’eau pour tous ? Et comment le monde va en cette année 2020 ? « Cette fois, je ne lui annoncerai pas la dernière hécatombe. Je garderai pour moi ce que m’inspire le monde. Elle m’a dit qu’il voulait si je le permettais, déjeuner en paix (voir le clip officiel) », dixit Stéphane Eicher.

Visa pour l’image de Perpignan.

la disparition du peuple Mohana, l'une des révélations de Visa pour l'image. (C) Sarah Caron
la disparition du peuple Mohana, l’une des révélations de Visa pour l’image. (C) Sarah Caron

32e édition du festival du photojournalisme. Couvent des Minimes. Gratuit. Attention masque obligatoire partout. De 10 h 00 à 20 h 00 tous les jours jusqu’au 13 septembre. Puis les 19 et 20. Puis les 26 et 27 septembre. Projection exclusivement via internet chaque jour jusqu’au 13 septembre .

visapourlimage.com

Y aller. Depuis Paris, Lyon, Valence… 6 TGV par jour. Par avion : 4 vols par jour (Air France. Hop).

Se loger : hôtel disponible en ville à partir de 50 €. Pour réserver www.perpignantourisme.com.

Renseignement OT Perpignan Méditerranée. Place de la Loge à Perpignan.

Voir la mer : Canet-En-Roussillon à 15 minutes en bus (Station Bd Wilson).

Collioure : TER en 20 minutes. Gare Centre Del Mon.